voyage en enfance

Rien n'est plus vivant qu'un souvenir. (Federico Garcia Lorca)

 

Petits bonheurs

Dans les années 50-60, il n'était pas rare que les enfants (essentiellement à la campagne) ne puissent fréquenter l'école, parce qu'ils devaient travailler pour aider leurs parents. En ville, ce n'était pas fréquent. Personnellement, j'ai eu la chance de vivre une véritable enfance, sans corvées d'aucune sorte. Les seuls menus travaux qui m'incombaient, je les accomplissais de mon plein gré et souvent de ma propre initiative.
Je prenais plaisir à donner un coup de main à mon père, pour le dégermage des pommes de terre par exemple, qui s'avérait un travail de longue haleine et avait lieu dans la cave, éclairée par un seul soupirail et par une ampoule pendue au bout d'un fil qui dispensait dans un coin, une lumière chiche. Je l'aidais de même à mettre le cidre en bouteilles. Je lui passais les bouteilles lavées qu'il ajustait au fur et à mesure à la cannelle du fût pour que s'y écoule le liquide doré, puis je les rangeais. Un peu plus grande, il m'arrivait de participer au remplissage des bouteilles, une vraie mission de confiance. A ce propos, le passage de la presse hydraulique représentait un réel évènement. Elle arrivait toujours de nuit, dans le froid généralement, et la rue s'animait alors du va-et-vient des deux ou trois brasseurs qui déversaient les rasières de pommes dans le bac plein d'une eau brune censée laver les fruits et qui ensuite déposaient le marc odorant sur le trottoir, en épaisses galettes carrées, bientôt amoncelées en une grande pile colorée. Le tracteur repartait finalement dans un épouvantable fracas de moteur, laissant le silence retomber sur le quartier calme.

J'avais déjà le goût du jardinage. Nous avions un potager qui nous donnait des légumes pour la soupe, des haricots verts, des salades, persil, oseille, échalottes et ail... Le reste du jardin comportait une large allée en terre battue qui passait sous les fenêtres, une partie en herbe haute qu'il fallait faucher à la faucille et quelques plates-bandes fleuries. Au temps de la jeunesse paisible, je m'attachais à confectionner de jolis bouquets de lilas, de roses blanches parfumées ou d'iris bleus pour égayer la cuisine ou ma chambre.

La bordure d'iris.

Lilas et rosier mêlés avec Rita au premier plan.

Souvent je participais au désherbage des allées avec ma mère, qui ne travaillant plus, avait le loisir de se livrer à ces occupations qu'elle appréciait. J'étais heureuse et fière de pouvoir accomplir cette besogne en sa compagnie et de participer à rendre les allées impeccables.
Ranger la buanderie avec elle, constituait également une occupation à laquelle je ne rechignais guère. C'était en effet l'occasion de dénicher dans le buffet vétuste remisé là, des jouets qui ne servaient plus, de vieux trucs sympas comme son journal d'adolescente, ses cahiers d'écolière, écrits à l'encre noire et tout un bric-à-brac, qu'on ne jetait pas forcément, parce que tel souvenir s'y attachait ou parce que ça pourrait encore servir peut-être. Nous avions retrouvé un jour, un livre qu'elle avait lu étant petite, "Les Quatre Filles du docteur March" un roman de L.M. Alcott, dont l'histoire se déroule aux Etats Unis. Je m'étais empressée de le lire à mon tour. Mais je n'en étais pas à mon coup d'essai. Mon premier livre je l'ai reçu à un Noël, alors que je venais tout juste d'apprendre à lire. C'est elle qui l'avait choisi, parce qu'elle même l'avait beaucoup aimé. "Les Malheurs de Sophie", donc, m'avaient été offerts de concert avec "Les petites filles modèles" et "Les vacances", trois livres de la comtesse de Ségur, qui relataient la vie des sages et douces Camille et Madeleine, de l'intrépide Sophie et de son cousin Paul... Peu après, elle m'avait fait découvrir "Cosette", une autre de ses lectures de fillette.

Cahier de chimie de ma mère (Année 1943-44).

C'est encore avec elle, qu'une fois par an, je procédais au collage des timbres Coop. Je trouvais amusant de trier les timbres par valeur, en m'aidant de leurs couleurs puis de les appliquer sur les collecteurs prévus à cet effet. Pour ce faire, une éponge humide était prévue, mais j'en léchais toujours bien quelques uns, à cause du goût sucré de la colle.
Le principe de ces timbres, c'est que chaque client qui venait faire ses courses au Coop, en recevait un certain nombre au prorata de ses achats. Quand il les rendait au magasin, une ristourne lui était versée en fonction du montant annuel de ses dépenses.
Parallèlement, existaient les timbres-épargnes. On pouvait en acheter régulièrement et rendre les feuilles en fin d'année pour passer une commande et recevoir le colis de Noël.

Timbres Coop.

Toutefois la collection de ces timbres n'étaient pas ma seule richesse. Je n'étais jamais à court d'idées quand il s'agissait d'amasser des trésors anodins. J'ai déjà parlé des fleurs séchées et des papillons épinglés, récoltes dérisoires qui s'évanouissaient rapidement en poussière. Je gardais également les porte-clés offerts par les marques, les timbres postaux étrangers récupérés sur les enveloppes, les images-récompenses de l'école...

Images de l'école.

...les départements français en plastique munis de petits pitons à emboîter sur une carte de France et qu'on découvrait dans les boîtes de camembert, les animaux de la ferme aux couleurs translucides qu'on obtenait avec je ne sais plus quel produit alimentaire, les cartes postales achetées en vacances ou envoyées par la famille ou les amis...

Carte postale d'Annecy.

Carte postale d'Annecy.

...les images que ma mère m'achetait par planches à la librairie, chacune sur des thèmes différents et que je collais dans des cahiers, dont je possède encore le numéro 5...

Cahier d'images.

Planches d'images.

Planches d'images.

Planches d'images.


Je collectionnais en outre les articles de la "page des quatre jeudis" du Paris-Normandie que je collais dans un carnet à spirales. En réalité, je gardais surtout ceux dont j'étais l'auteur. En effet, j'étais inscrite au club Mac Duck, rubrique visant à inciter les bambins lecteurs à produire de courts textes, des poèmes, des histoires. Je ne me privais pas d'en envoyer. Les meilleurs écrits de la semaine étant publiés, je n'étais pas peu fière d'être "marquée" dans le journal !

La page des  4 jeudis.

Je ne peux terminer ce voyage en enfance, sans évoquer les animaux qui nous entouraient, chez ma grand-mère d'abord, des dizaines de serins , ravissants oiseaux colorés, qu'elle soignait avec beaucoup d'attention et que je regardais voleter dans leurs cages et longtemps avant, quand j'étais vraiment très jeune, une chatte qui répondait au gracieux nom de Miquette.
Et puis sur le rebord de la fenêtre quand la neige avait recouvert le jardin, on émiettait du pain dont les moineaux et les rouges-gorges faisaient leurs délices. Ils venaient se poser avec précaution, attentifs au moindre mouvement dans la pièce, et pour les observer je me tenais immobile derrière les rideaux, respirant à peine.
Chez moi, il y a d'abord eu des chats, la mère Pompon aux couleurs multiples et son fils Pompon, noir de la tête aux pieds. Par la suite, l'oncle du Marais, nous a offert une chienne noire de quelques semaines, que nous avons appelée Rita. Elle a subi, la pauvre, tous nos caprices de mômes, jeux divers, habillage avec des vêtements de poupée, balades en poussette ou sur la selle du vélo. Des années plus tard, est arrivé Ringo, un chien tout frisé, espèce de caniche noir plus ou moins bâtard, qui – déplorable manie – s'échappait sans arrêt pour revenir sale et crotté.

Rita.

Même si rien n'est plus vivant qu'un souvenir, je vais les laisser se rendormir doucement... Depuis toujours, entre musique et écriture, mon coeur balance, mais les mots m'obéissent plus facilement que les accords. Par la magie de l'écriture, les ombres obscures du passé renaissent à la vie.
Le temps de ces quelques pages, j'ai voyagé dans mes quartiers d'enfance et ailleurs, couru de la cave au grenier dans la demeure de mes grands-parents, côtoyé des enfants éternellement jeunes, caressé des jouets dont la couleur n'a pas fané, croisé mes maîtresses d'école au détour d'une ligne, participé aux repas de fête, goûté aux petits plats maternels, touché des yeux des objets évanouis dans l'autrefois, couru vers des boutiques illusoires, embrassé tout un monde perdu. Je me suis promenée dans une maison, dans un jardin, qui n'existent plus, dans une rue qui aujourd'hui n'a plus de mémoire. Cette rue qui a vu s'estomper peu à peu ma prime jeunesse, mon père l'a quittée en 78, quelques mois après le décès de ma mère. Je ne suis pas retournée dans ces parages avant des années. Je ne sais pas, à quel moment la silhouette du quartier a été modifiée, les habitations rasées, le champ transformé en parking… Un jour, je suis passée par là, tout était changé… La rue Fleury n'avait plus d'âme !


Chantal

- Chronique d'une rue défunte : 30 novembre 2007.
- Chapitres suivants : d'avril 2009 à janvier 2010.

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