voyage en enfance
Les jeux des enfants
ne sont pas des jeux. (Montaigne)
Jouets et jeux
Avant
Noël, j'admirais les vitrines des marchands de rêve,
je feuilletais le catalogue Manufrance, pour trouver des idées
de cadeaux à commander au Père Noël. Après
la fête, venait l'émerveillement de la découverte
des jouets que le vieux bonhomme avait mystérieusement
apportés, sur son traîneau. Une fois ou deux, ma
soeur l'a aperçu avec ses rennes fringants, qui disparaissait
par-dessus les toits, dans une envolée fugitive.
Manufacture Française
d'Armes et Cycles de St-Etienne
devenue Mufrance en 1947
Le reste de l'année, il fallait attendre
les anniversaires pour recevoir de nouveaux présents.
Malgré tout, quelquefois le jeudi au marché, mon
grand-père m'emmenait à la boutique à 100
francs, pour m'acheter une babiole. Régulièrement,
mon choix se portait sur un lot de deux baigneurs en plastique,
d'une quinzaine de centimètres de haut, l'un noir, l'autre
blanc. J'en avais toute une collection, que j'installais sur
mon lit, en compagnie de Christiane, ma grande poupée
en porcelaine au crâne fendu d'un côté, de
mon nounours et de Christian, un baigneur aux yeux bleus. Cependant,
je ne jouais pas à la poupée au sens où
on l'entend habituellement, en réalité je mettais
en scène l'école des poupées. J'incarnais
la maîtresse, j'écrivais avec une craie grossière
sur un tableau chevalet noir, je remplissais, je corrigeais
et je notais des cahiers que j'avais fabriqués avec des
feuilles pliées et de la colle, je distribuais des carnets
de notes... A cinq ans, j'avais décidé que plus
tard, je serai maîtresse d'école !
A Sotteville, j'avais une seconde poupée
en porcelaine -ma précieuse Catherine- conservée
jalousement par ma grand-mère qui en prenait le plus
grand soin, la rangeant minutieusement quand je m'en allais.
C'était une jolie rousse aux cheveux plaqués et
frisés, avec des yeux qui se fermaient quand on la couchait.
Pour mes poupées, il fallait bien que
j'aie quelques dînettes puisque j'étais une fille.
Malgré tout, cela ne constituait vraiment pas mon passe-temps
favori. Quand j'ai été un peu plus âgée,
je leur cousais et tricotais des habits. J'avais appris à
manier les aiguilles, mais les mailles s'échappaient
parfois. Par ailleurs, j'avais reçu lors d'un Noël,
une mini machine à coudre jaune, qui permettait de poser
quelques points sur des tissus légers. J'imitais volontiers
ma mère ou ma grand-mère sur leur machine à
pédale, sauf que moi, je devais pour actionner l'aiguille,
tourner une petite roue fixée à droite.
Pour en finir avec le chapitre "poupée", il
en était une qui m'amusait beaucoup, Caroline, un genre
de poupée-mannequin, entièrement démontable,
tête, corps, bras et jambes, qu'on pouvait habiller de
vêtements en toile très fine, coupés de
la manière la plus simpliste qui soit. Pour la vêtir,
il fallait donc la démonter, par exemple pour lui enfiler
une jupe (un cercle de tissu percé d'un trou au centre),
je devais désolidariser le tronc et le bassin, placer
la jupe entre les deux pièces puis remettre le tout en
place.
Des jouets de l'âge tendre, si lointains
dans la brume du passé, émerge le reflet grisant
d'une grosse toupie en fer aux couleurs vives, que je remontais
à l'aide d'une tige fixée au sommet et qui s'en
allait folâtrer jusqu'à épuisement aux quatre
coins de la cuisine.
Pour le reste, quelques images résistent
à l'oubli... Alors s'animent sur un tapis vert des canetons
aimantés qui avançaient je ne sais plus comment,
s'élancent sur le pavé rouge des voitures à
friction, flotte sur le bassin du jardin des plantes un bateau
muni d'une clé à remonter, s'attarde le souvenir
d'une boîte de cubes aux six faces illustrées avec
lesquels on pouvait reconstituer six dessins, perdure l'illusion
que quelques pastilles de peinture multicolores pouvaient créer
un monde de lumière, s'éternise enfin l'ombre
d'un tablier marron que m'avait confectionné ma mère
et que je possède encore dans un coin de tiroir, rangé
parmi quelques vêtements de nourrisson, parce que mes
fils l'ont utilisé pour peindre, étant tout petits...
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Vers
sept ou huit ans, j'ai expérimenté les jeux de
construction.
La Maison Forestière, avec ses pièces en bois
qu'on assemblait grâce à un système de tenons
et mortaises, permettait l'édification d'imposants chalets
pour peu qu'on en ait plusieurs boîtes. Quant aux Pierres
Magiques, dont on pouvait combiner les pièces de divers
modèles, elles offraient de multiples possibilités,
rien d'aussi élaboré néanmoins que les
actuels Lego dont elles ont été le précurseur.
Mes jeux de société étaient
ceux de tout le monde, jeux de cartes, bataille qui durait des
heures (on n'en voyait jamais le bout), sept familles, pouilleux
qui provoquait rires et éclats de voix, mikado, jeu de
l'oie, petits chevaux, dominos et dames. Mon grand-père,
mon principal partenaire aux dames me laissait gagner au début,
mais plus grande, je le battais à plate couture, sans
artifice. Nous jouions chez lui, dans la seule chambre chauffée
de l'étage, devant une fenêtre qui donnait sur
la rue.
Je me suis longtemps divertie avec un système de "questions-réponses"
électrique. Sur un support, on posait une carte percée
de trous, l'objectif étant d'associer convenablement
questions et réponses à l'aide de fiches reliées
à une pile, ce qui provoquait, à chaque réussite,
l'allumage d'une ampoule de lampe de poche. Les sujets portaient
sur la géographie, les fuseaux horaires, l'histoire et
je ne sais plus quoi... Cela m'intéressait beaucoup,
seulement très vite, j'avais repéré les
trous qui se correspondaient et forcément, la lumière
s'allumait à chaque fois, y compris pour les cartes les
plus difficiles. En effet, elle étaient toutes conçues
à partir du même gabarit.
Il est certain que j'avais d'autres passe-temps
que ceux-là, effacés de ma mémoire par
le temps, en revanche je n'ai pas oublié les activités
que je pratiquais à l'extérieur.
Les billes, d'abord... J'en avais une belle quantité,
billes de plâtre, agates en verre, gros boulets. Je jouais
avec les garçons, mais jamais pour de vrai ; à
la fin, chacun récupérait ses billes. Qui m'en
avait donné le goût ? Peut-être Denis, un
garçonnet un peu plus âgé que moi qui était
en nourrice chez nous quand j'étais vraiment petite.
C'était le fils de Raymond, un collègue de mon
père. Ce que j'en sais, vient sans doute davantage des
histoires entendues, que de la mémoire véritable.
Ma mère le trouvait turbulent et à plusieurs reprises,
il m'avait fait mal lors d'élans trop fougueux, si bien
qu'un jour elle a renoncé à le garder...
Si j'aimais taper dans un ballon, jongler avec trois balles
(à l'école toutes les filles savaient en rattraper
au moins deux), sauter à la corde, jouer à la
marelle, j'avais cependant une prédilection pour toutes
les sortes de jeux de raquettes, le plus élémentaire
d'entre eux, consistant à renvoyer inlassablement une
balle sur le mur avec une raquette en bois confectionnée
par mon père, tout en imaginant des histoires merveilleuses,
faute de quoi ce serait très vite devenu lassant. J'avais
aussi un Jokari, jouet composé d'une balle en caoutchouc
reliée à un socle par un élastique qui
permettait à la balle frappée par la raquette
de revenir vers moi. Je jouais seule ou avec ma soeur et pendant
les vacances, en famille. L'été, nous emmenions
également notre Badmington et nous faisions d'interminables
parties, les après-midis où nous restions au gîte
de vacances.
Quand j'ai eu mon premier vélo, c'était
magique... Une vraie bicyclette, avec des pneus fins et non
pas de gros pneus de bébé comme certains de mes
camarades. Le jardin, assez vaste, me permettant de circuler
autour de la maison, j'en profitais largement. Une fois libérée
des roues stabilisatrices à l'arrière, j'étais
vraiment fière de rouler sans tomber... Je m'essayais
à tenir le guidon d'une main puis à ne pas le
tenir du tout, bien que cela me fût interdit !
Je bricolais de pauvres papillons en carton, que je fixais sur
un support de garde-boue, de telle sorte qu'à chaque
coup de pédale, ceux-ci, venant frotter sur les rayons,
provoquaient une espèce de ronflement que je qualifiais
de bruit de moteur. Qui n'a pas fait ça, étant
enfant ?
Les jouets prennent toute la place dans les
premières années ! Si on exclut l'achat occasionnel
de quelques bricoles, yoyo infatigable, harmonica strident,
tricotin autrement appelé bouchon, scoubidous colorés,
nous en avions peu en dehors de Noël ou des anniversaires,
alors j'en inventais.
Quelques clous chapardés dans la boîte à
outils paternelle, un marteau tout aussi usurpé, une
collection de bouts de bois et voilà que naissaient des
radeaux, des maisons, des ponts... Tout cela se passait dans
la buanderie, sur un vieil établi en bois. J'y fabriquais
aussi mes cerfs-volants, une feuille de journal, de la farine
mélangée à l'eau pour la colle, une queue
en ficelle garnie de bouts de chiffons et vole le bel oiseau,
au dessus des herbes et des chardons du champ. Quand il ne s'emmêlait
pas dans les fils électriques de la rue Albert Lacour
!!!
Ce grand espace, inépuisable terrain de jeux, était
riche de possibilités... Fleurs de pissenlits dont s'échappaient
délicatement, au moindre frisson d'air, les graines légères,
duvet mystérieux... Boutons d'or qu'on approchait du
cou des copines pour deviner, d'après le reflet jaune,
si elles aimaient le beurre... Herbes coupantes qui, coincées
entre les pouces, libéraient un son de cor quand on soufflait
dessus... Chardons brillants, objets de défis mais surtout
de honte pour celles qui n'auraient pas osé se mettre
à genoux sur leurs piquants mordants... Feuilles et fleurs
qu'on récoltait pour les faire sécher entre deux
morceaux de papier journal et les coller ensuite dans des herbiers
qu'on fabriquait soi-même, à base de carton et
de plastique transparent... Papillons folâtres qu'on chassait
à l'aide de filets d'orange attachés sur une baguette
et qu'on épinglait sur un carton épais ou une
planchette mais qui, invariablement, tombaient en poussière
au bout de quelques semaines. |
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