voyage en enfance
L'enfance est ce
que nous passons notre existence à essayer de retrouver. (Forest
Whitaker)
Fêtes et cérémonies
Le
père Sénéchal, celui que j'ai accompagné
en camp pendant des années, je l'avais connu à
l'église Sainte Bernadette où il officiait. Avant
lui, il y avait eu le père Jean qui était parti
comme missionnaire en Côte d'Ivoire, à Abidjan,
et qu'on n'avait jamais revu et puis le père Olivier.
Les autres prêtres de la paroisse, je les ai oubliés.
L'église Sainte Bernadette que nous
fréquentions chaque dimanche avait été
bâtie près de l'école Bastié en 1962,
pour remplacer l'ancien baraquement servant de chapelle. A l'époque,
les enfants coupaient rarement à la messe et souvent
s'y ennuyaient ferme. Sur le mur du fond, était inscrite
une phrase de Bernadette Soubirous que, pour l'avoir lue à
longueur d'office, je n'ai jamais oubliée :
"La vierge s'est servie de moi comme d'un balai, quand
un balai a fini sa besogne, on le met derrière la porte
et il y reste."
Dans les années 60, la communion solennelle
était un évènement d'importance, une grande
cérémonie qui donnait l'occasion de réunir
toute la parenté qu'on voyait rarement, certains n'ayant
pas de véhicule, et pour nous une des rares fois où
nous allions chez le coiffeur de la rue Géricault. Nous
étions habillées comme des petites filles modèles
avec de longues anglaises et des noeuds dans les cheveux. La
réception durait la journée entière et,
à la campagne, les convives revenaient au besoin le lendemain
pour finir les restes. C'était la fête ! Tard dans
la nuit, mon père raccompagnait nos cousins et leurs
enfants... Tout le monde s'entassait dans la voiture, sans souci.
On ne parlait pas de ceinture de sécurité !
C'est que la sécurité n'était
pas encore l'affaire des pouvoirs publics ! Chacun veillait
au mieux sur les siens. Les gens qui emmenaient leurs bébés
couchés dans un couffin simplement posé sur la
banquette arrière ou qui permettaient aux aînés
de voyager allongés, n'étaient pas considérés
comme des assassins ! Il faut dire que la circulation n'était
pas aussi dense qu'aujourd'hui ni la vitesse aussi élevée.
Nous circulions à bicyclette, sans casque ou sans freins,
nous allions à l'école sans être accompagnés,
nous nous rendions chez nos copains pour y passer quelques heures,
même en l'absence de grandes personnes. Il suffisait de
sortir de chez nous et d'aller frapper à leur porte,
sans autre forme de procès... une réelle aubaine
que de pouvoir évoluer en liberté et de n'avoir
pas de téléphone portable pour nous "sécuriser"
!
Au jour de l'an, nous nous partagions la plupart du temps entre
Elbeuf et Sotteville. Mes grands-parents maternels invitaient
leurs enfants et petits-enfants et nous préparaient un
repas exceptionnel. La table des festivités, dressée
dans la pièce principale qui n'était pas la salle,
regorgeait de plats raffinés, crabe, gigot et mets délicieux
qui leur avaient demandé des heures de préparation.
Rien n'était trop beau pour nous ! Devant chaque assiette
était posée une petite carte de voeux, au dessin
vieillot, avec notre nom écrit dessus. La tablée
joyeuse recevait ses étrennes, goûtait à
tout, se régalait, en redemandait, parlait fort, plaisantait,
s'esclaffait, pour le plaisir de mes grands-parents, à
l'aise dans leur rôle de dispensateurs de bonheur.
Suivait alors en janvier les traditionnelles
visites de voeux qu'on allait, soir après soir, souhaiter
aux oncles et tantes du côté maternel, ceux qu'on
ne voyait qu'une fois l'an, pour la circonstance. Il convenait
lors de cette tournée, de boire un apéritif ou
un petit vin blanc, de manger quelques biscuits, parfois une
galette des rois avant de repartir dans le froid et la nuit
noire.
Au début du mois de janvier, nous étions reçues
pour l'année nouvelle à Saint Martin de Boscherville,
avec tous les proches de la branche paternelle. L'oncle et la
tante qui nous conviaient, nous proposaient un festin de roi,
tous les produits venant de la ferme, y compris l'eau de vie
dont mon père disait qu'il fallait tenir la table pour
l'avaler, parce qu'elle devait titrer 80° pour le moins
!!! L'arrière-grand-mère habitait avec eux, elle
avait déjà au moins 90 ans et je trouvais ses
cheveux de neige noués en chignon, fort seyants.
Une vaste table campagnarde, des bancs, une horloge infatigable,
une immense cheminée dans laquelle on aurait pu tenir
debout sans problème si elle n'avait été
allumée... les images de ce temps révolu n'ont
pas jauni.
Leur ferme, dite du "Marais", étant établie
près de la Seine, il suffisait de traverser le pré
pour être au bord de l'eau. L'été, la balade
nous enchantait, par contre il arrivait qu'à la mauvaise
saison, quand le fleuve quittait son lit, l'eau vînt lécher
le pied de l'escalier et il ne restait plus à ses occupants
qu'à prendre la barque pour aller nourrir et traire les
vaches, en attendant la décrue. Pour atteindre leur domicile,
nous devions suivre un long chemin de terre, bordé de
deux fossés. |
Nous
traversions plusieurs prairies, séparées par des
barrières, qu'il fallait ouvrir et refermer au passage,
pour que les vaches ne s'échappent pas. Quelle équipée
! Quand la Seine montait très haut, les fossés
débordaient, la chaussée inondée disparaissait
et nous roulions pendant quelques kilomètres dans l'eau
qui atteignait le milieu des roues. Nous savions qu'il n'aurait
pas fallu qu'elle monte plus haut parce que nous n'aurions plus
eu de freins. Je n'ai pourtant pas l'impression, que nous ayons
jamais fait demi-tour !
Une fois tous les convives arrivés à bon port,
nous commencions à manger, généralement
vers 13 ou 14 heures. Le repas durait une partie de l'après-midi
et au moment de partir, juste avant l'heure de la traite des
vaches, il fallait se remettre à table, pour la "collation
soupante", repas hybride, à mi-chemin entre le goûter
et le dîner, qui finissait de nous remplir l'estomac,
s'il en était besoin... charcuterie, cochonnailles, fromages,
pain... et j'en passe !
En septembre, lors de la foire de la Saint
Michel, nous étions invitées à Hénouville,
chez Germaine, une tante du côté paternel. Comme
elle possédait deux vastes prés attenant à
son habitation, il est arrivé quelquefois que les balançoires
s'installent dans celui où elle garait sa Dauphine. Pour
l'occasion, les poules qui d'ordinaire couraient partout en
liberté, étaient rassemblées dans une courette
et nous avions consigne de ne pas les en laisser sortir. Dans
le second pré, broutaient des moutons dont la marmaille
n'osait pas trop s'approcher. Cette tante, veuve, déjà
plus très jeune, invitait toute la famille. Nous avions
vite fait de nous retrouver à une vingtaine. Le matin,
nous assistions à la traditionnelle messe de la Saint
Michel, avec la distribution de pain bénit, moment attendu
avec impatience. A midi, tout le monde passait à table
dans la salle qui pour la réception avait été
chauffée, alors que le reste du temps, inutilisée,
elle demeurait glaciale. J'ai souvenance d'une éternelle
poule au blanc, délicieusement cuisinée avec les
produits de la ferme. Un plat royal ! Nous n'en mangions nulle
part ailleurs que là. Elle préparait le repas
dans l'arrière-cuisine, au milieu d'un invraisemblable
amoncellement d'objets, un fouillis disparate d'ustensiles ménagers,
de casseroles épaisses, de poêles noircies, de
seaux en zinc, de torchons, de bocaux de cerises à l'eau
de vie, de confitures, de produits divers, de fruits et légumes.
Sur la paroi du fond, une porte devait mener dans un appentis
voisin, à moins que ce ne fût à la cave...
Entre cette cuisine exigue et la salle à manger, se tenait
une grande pièce à vivre, où voisinaient
une lourde table de ferme en bois, flanquée de deux longs
bancs, une cuisinière à charbon, la huche à
pain et la sempiternelle horloge qui inlassablement, jour et
nuit, égrenait les heures.
Quand tous les plats avaient fini leur tour de table, nous nous
régalions de manèges et de joyeuses parties d'auto-tamponneuses.
Il suffisait d'ouvrir la barrière, nous y étions.
J'aimais m'envoler très haut sur les balançoires
dont on nous offrait de temps à autre un tour gratuit.
Au passage dans le pré, les quelques pommes vertes, que
nous ramassions pour les croquer à l'insu des adultes,
avaient le goût des fruits défendus.
La journée accomplie, il fallait songer au retour et
nous nous entassions alors à dix ou douze dans la 203
de mon père, pour raccompagner nos cousins jusqu'à
Jumièges ! Ah la belle époque !
Les autres rencontres familiales traditionnelles,
avaient lieu à la Toussaint et aux Rameaux, où
nous déjeunions chez ma grand-mère d'Elbeuf, au
début rue de la République et plus tard rue Victor
Grandin où elle avait acheté une maison, pas très
loin de la Seine. Nous en profitions pour aller au cimetière
Saint-Etienne, déposer sur la tombe du grand-père
que je n'ai pas connu, une fleur ou le brin de buis qu'on avait
fait bénir le matin même à la messe, avec
celui qu'on garderait dans une chambre, tout sec sur le bord
d'un cadre, jusqu'à l'année suivante.
Cependant la fête que nous attendions
avec la plus vive impatience, demeurait Noël, incontestablement.
Dans ma petite enfance, ma mère conviait à dîner
sa proche parentèle, autour d'une table copieusement
garnie, installée dans la pièce voisine de la
cuisine, qui devait devenir plus tard la chambre des filles
quand nous avons quitté celle de mes parents où
nous dormions auparavant.
Dans l'après-midi du 24 décembre, pendant que
ma soeur encore bébé faisait la sieste, nous montions
le sapin et j'aidais à la décoration, fouillant
avec fièvre dans le fascinant carton rempli de guirlandes,
boules, étoiles dorées, sujets divers. A son réveil,
celle-ci découvrant l'arbre étincelant, pensait
que le bonhomme Noël l'avait apporté pendant qu'elle
dormait. Le soir, je guettais les invités pour les accueillir
gaiement et les voyant arriver à la barrière,
je me dépêchais d'illuminer le sapin avec les guirlandes
multicolores, constituées alors d'ampoules longues de
cinq centimètres, sans lesquelles la joie n'aurait pas
été complète. Mes grands-parents, que mon
père était allé chercher avec la voiture,
arrivaient encombrés de la bûche traditionnelle
commandée à l'avance chez le boulanger, de pâtes
de fruits de toutes les couleurs et de sucres de pomme délicieusement
collants qu'on suçait longuement et qui nous poissait
les doigts, les plus gros pouvant durer plusieurs jours.
Ces bâtonnets fabriqués à
partir de jus de pommes et de sucre, se déclinaient en
plusieurs tailles. Enveloppés dans un emballage blanc
et or, illustré d'une image du Gros Horloge puisqu'ils
étaient fabriqués à Rouen, à quatre
kilomètres de chez nous, ils se présentaient généralement
par paquets de trois, entourés d'un soyeux ruban rouge.
La fête magique commençait en début de soirée
et se prolongeait loin dans la nuit. Ma mère avait préparé
tout le dîner, sorti sa plus belle vaisselle, des assiettes
blanches bordées de motifs colorés et choisi une
belle nappe. Quant à nous, nous recevions de splendides
cadeaux qui avaient, à coup sûr, valu quelques
sacrifices à nos parents ! |
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