voyage en enfance
Il y a toujours,
dans notre enfance, un moment où la porte s'ouvre et laisse entrer
l'avenir. (G. Greene)
L'école
Par
le miracle de l'écriture, j'efface tout et je fais un
grand bond en arrière pour retrouver les années
50. Je reprends mon voyage en enfance, longtemps, bien longtemps
avant que le rideau ne tombe sur la fin de l'histoire.
J'avais cinq ans, quand je suis entrée à l'école
Calmette.
La "petite école".... une
salle de jeux spacieuse dans laquelle avaient lieu les spectacles
scolaires, de grandes rondes d'enfants costumés qui dansaient
en se tenant la main... En entrant à gauche, se trouvait
une infirmerie et je crois bien aussi la cantine. Au fond, une
porte ouvrait sur un couloir menant aux classes dont les fenêtres
donnaient sur la cour de récréation, endroit privilégié
de nos découvertes enfantines et de nos premières
espiègleries d'écoliers.
Dans cette courette, justement, nous jouions
habituellement à lancer en l'air de petits cailloux récupérés
dans un coin isolé que nous prétendions secret.
Or un jour, voilà que mes cailloux avaient atterri sur
un carreau. Etait-il fêlé ou cassé, je ne
sais plus, toujours est-il que la maîtresse voulant savoir
qui avait lancé les projectiles et renseignée
par quelques âmes charitables qui s'étaient empressées
de le lui rapporter, leur avait demandé d'aller me chercher.
S'ensuivit une lutte acharnée et inégale ! Ils
étaient plusieurs, j'étais seule, mais solide
! Je ne sais pas s'ils auraient réussi à me traîner
jusqu'à la maîtresse, si je n'avais soudain décidé
après une résistance farouche, de m'abandonner
au triste sort qui m'attendait. Soudain je lâchai prise
en me disant que de toutes façons, d'une minute à
l'autre, j'allais finir en prison. Autant en terminer au plus
tôt ! Le goût amer de la résignation me reste...
une des rares sensations survivantes de cette année-là.
Pour atteindre la maternelle, il fallait suivre la rue Géricault
jusqu'au bout. Si on continuait un peu plus loin sur la droite,
on arrivait à l'école primaire Salengro, celle
où allaient les garçons du quartier, à
partir de six ans.
Moi comme toutes les filles, à la suite de la maternelle,
j'ai fréquenté l'école Maryse Bastié,
car dans mon enfance les établissements n'étaient
pas mixtes. C'est en effet en 1975, que la loi Haby a rendu
la mixité obligatoire. J'empruntais quatre fois par jour
la rue Jean Jacques Rousseau, dont je connaissais toutes les
maisons par coeur. La route ne me semblait pas longue parce
que j'avais trouvé un jeu qui consistait à marcher
sur la bordure du trottoir sans poser le pied sur un joint reliant
deux blocs. Par ailleurs, je rencontrais souvent des copines
qui habitaient dans un groupe de quatre immeubles situés
sur mon chemin et nous faisions route ensemble.
L'école, c'est une multitude de clichés...
Les encriers qu'on remplissait chaque semaine d'encre violette,
le porte-plume et les plumes "Sergent Major", les
tableaux noirs essuyés au chiffon et lavés à
l'éponge chaque soir dans l'odeur de craie poussiéreuse,
les tampons ou les belles frises qui illustraient nos cahiers
du jour, les timbres anti-tuberculeux qu'on nous envoyait vendre
de porte en porte, les résumés d'histoire récités
par coeur trente fois de suite par trente élèves,
si bien que les derniers n'auraient pas eu besoin de l'apprendre
s'ils avaient su avant qu'ils passeraient en fin de liste !
Chaque mois, on révisait pour les compositions, il fallait
savoir tout ce qu'on avait appris depuis les derniers contrôles
– une semaine de cauchemar – jamais je n'aurais
imaginé me présenter sans tout maîtriser
sur le bout du doigt... et les dictées, les problèmes...
La maîtresse, pour nous corriger, regardait son modèle
et moi, je pensais qu'elle ne connaissait même pas les
réponses puisqu'elle devait vérifier dans son
livre. Ainsi je me demandais pourquoi elle exigeait que nous
sachions faire ses exercices !
Fin juin, se déroulait la distribution
des prix, journée solennelle, où devant tous les
parents réunis, les classes défilaient sur l'estrade
du foyer municipal accolé à la mairie du vieux
bourg. Les élèves endimanchés attendaient
patiemment qu'arrive leur tour de recevoir les honneurs ! Les
premiers au classement, repartaient avec une pile de prix et
si les derniers n'étaient pas oubliés, ils ne
recevaient guère plus d'un livre. Il fallait alors embrasser
les vieux messieurs moustachus ou les dames doucereuses qui,
assis en ligne sur des chaises, nous remettaient les prix. Ce
n'était pas le plus agréable !
Un matin, cuisant souvenir, la maîtresse
de CE2 m'interrogea sur une poésie que je n'avais pas
dans mon cahier, car venant d'être malade, j'étais
tout juste de retour. Je restai muette. Je ne sais pas quelle
mouche l'avait piquée ce jour-là, elle m'administra
une gifle retentissante, sans autre forme de procès...
Le chant de l'eau, "L'entendez-vous, l'entendez-vous, le
menu flot sur les cailloux, il passe et court et glisse et doucement
dédie aux branches, qui sur son cours se penchent..."
m'a valu la plus belle humiliation de mon existence d'écolière
modèle. Injustice dont je me suis bien gardée
de parler le soir chez moi, comme si j'avais été
coupable vraiment de ne pas avoir étudié ladite
poésie, moi qui les savais toutes et étais toujours
en lutte avec ma meilleure amie Yvonne, pour la première
place. Quand sonnait l'heure de la distribution des carnets,
nous étions suspendues aux lèvres de la maîtresse,
et pleuvaient les bons-points et les images !
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L'école
n'était pas un lieu de plaisanterie. Dès l'entrée
en classe, la maîtresse vérifiait la propreté
des mains et des ongles. Puis commençait la leçon
de morale qui se terminait toujours par une maxime à
copier, de notre plus belle écriture, dans le cahier
du jour. Chaque matin, nous vivions avec émotion le drame
en miniature qui servait de support à la devise du jour,
et de savoir par exemple que la vieille dame de l'histoire s'était
cassée la jambe, pour avoir voulu surprendre les garnements
qui chaque jour sonnaient à sa porte, me dissuada à
jamais d'avoir une pareille idée !
On s'amusait bien à la récréation, jeux
de balle sur les murs, cordes à sauter, rondes infinies
avec l'éternel fermier dans son pré... Mais quand
retentissait le premier coup de sifflet annonçant la
fin des jeux, tout le monde se figeait sur place, sans un mot.
Au second coup, nous avions quelques secondes pour gagner notre
rang en silence et avancer aussitôt vers le couloir. Ce
mouvement avait quelque chose de militaire, néanmoins
nous n'y pensions pas. Et que dire de la fête de la jeunesse,
sur le stade Robert Diochon, à laquelle des centaines
d'écoliers participaient dans un alignement irréprochable
de costumes blancs ? Et du 11 novembre, où nous allions
chanter avec un frisson d'émotion le chant des partisans,
devant le monument aux morts, au stand des fusillés ?
A la rentrée, intervenait un évènement
d'importance, l'achat d'une nouvelle blouse. En primaire, nous
étions libres de la choisir colorée et gaie. C'était
une expédition que d'aller à Rouen, dans un magasin
spécialisé pour cet achat d'importance, bientôt
suivi par celui du cartable et de la trousse avec un côté
pour les stylos de différentes couleurs, la règle,
la gomme, tous bien alignés à leur place et un
rabat pour les crayons de couleur, prisonniers sous des petits
ponts de plastique ou de cuir qui les gardaient en ordre parfait.
La blouse, je l'ai connue jusqu'au bac. Au lycée, nous
n'avions plus le choix, nous devions en porter une rose pour
la classe et une bleue pour la cantine.
En regardant quelques photos scolaires, j'ai réveillé
des visages et des noms. Un sourire n'a pu s'effacer, c'est
celui de Jocelyne, tristement décédée à
quelques huit ans, d'une tumeur au cerveau. Quel drame pour
nous ! Tous les jours, je passais devant chez elle !
L'école apportait son lot de vexations aussi. Quelle
ne fut pas ma colère, le jour où quelqu'un me
chanta "ton grand père est un pouilleux, ta grand-mère
n'a pas de cheveux !" J'étais très jeune
et je n'avais pas compris que ces paroles bêtes ne devaient
pas être prises au premier degré.
En général, nous n'étions pas très
charitables avec les enseignants qui ne nous plaisaient pas.
Notre prof de solfège, qui nous faisait répéter
des vocalises interminables à l'aide de son guide-chant,
représentait la cible favorite de notre risée.
Il faut dire qu'on s'ennuyait ferme pendant son heure hebdomadaire
de cours et nous trouvions dans la moquerie un exutoire à
notre ennui.
Images figées dans le temps... Qu'ils
me semblent vieillots ces panneaux de vocabulaire sur l'automne,
la rentrée, la chasse ou la neige qu'il nous fallait
décrire pour acquérir des listes de mots attachés
à un thème !
Et ces panneaux d'histoire qu'on nous sortait
chaque semaine et grâce auxquels nous découvrions
les gaulois, les romains, le château fort assiégé,
la prise de la Bastille ! Qu'elle me semble désuète
la chaîne d'arpenteur qui nous servait à mesurer
la cour, et surannée la balance Roberval avec ses boîtes
de masses où il manquait toujours les minuscules poids
de un ou deux grammes ! Quant à la boussole, il aurait
été impensable de ne pas l'utiliser pour repérer
les points cardinaux, inévitable première leçon
de géographie !
Au fond de chaque salle, figurait une armoire
vitrée qui contenait les trésors de la bibliothèque.
J'y avais souvent recours, quand j'avais épuisé
les ressources de ma copine Lydia, avec laquelle nous échangions
nos lectures et quand je ne trouvais plus rien à acheter
sur le tourniquet de la librairie, tourniquet qui ne se renouvelait
pas assez vite pour moi et qui écornait la pièce
de 5 francs, belle pièce en argent, que me donnait mon
grand-père, quand je lui montrais mon carnet. Alors,
j'ouvrais l'armoire en bois et cherchais parmi les livres, tous
couverts du même papier bleu passé qui gâchait
un peu le charme de la découverte, celui qui me tiendrait
en haleine quelques jours durant. Je passais des heures à
bouquiner. Ma grand-mère prétendait que je finirais
pas attraper une maladie de la tête à lire comme
ça. Au moment du dîner, quand on m'appelait pour
passer la table, je répondais invariablement "je
finis ma page" et si par chance personne ne regardait de
mon côté, j'en commençais vite une autre,
puis une autre...
Ma maîtresse de CM1, la plus douce et la plus gentille
de toutes, nous avait appris, qu'elle attendait un bébé
et qu'elle devait donc prendre un congé de maternité.
Elle habitait dans les barres d'immeubles du boulevard Stanislas
Girardin, pour lors à deux ou trois copines, nous allions
lui rendre visite chez elle et lui apportions de pauvres cadeaux,
bonbons, biscuits, présents de gamines qu'elle semblait
apprécier. Elle nous offrait une tasse de chocolat, après
quoi nous la quittions toujours un peu tristes...
Admise au collège, je suis entrée en 6ème
dans un bâtiment préfabriqué accolé
à la cour de Maryse Bastié, chauffé par
un poêle à bois ou à charbon, je ne sais
plus. En tout cas, un tisonnier était appuyé contre
le mur qui séparait la classe du couloir, et je n'ai
pas oublié les fous rires qui nous prenaient quand les
professeurs excluaient Jean, en l'envoyant dans le couloir,
ce qui lui donnait tout loisir pour ébranler avec discrétion
la paroi et faire tomber le tisonnier. Celui-ci à peine
ramassé par l'un d'entre nous ou par le professer lui-même,
retombait avec fracas ! La sixième, c'était pour
nous la première année avec les garçons,
et plusieurs d'entre eux, de joyeux pitres, égayaient
nos journées. Les cours de filles des années précédentes
avaient été beaucoup moins drôles !
Moins amusant était le latin ! Combien de fois le "Gaffiot",
l'énorme dictionnaire latin-français, qui n'avait
d'avantage pour moi que de me fournir épisodiquement
une phrase de version toute traduite, combien de fois disais-je,
l'ai-je envoyé voler à travers ma chambre ? "Oh
rage ! Oh désespoir ! Oh latin ennemi !..."
J'étais donc en sixième, mais par prudence, ma
mère avait demandé à ce que je passe malgré
tout le certificat d'études, pour le cas où je
raterai le brevet et pendant qu'on y était, le bac aussi
! J'étais donc accueillie une heure ou deux par semaine,
sur les bancs primaires pour travailler un peu ce certificat.
J'étais la seule dans ce cas, une exception en quelque
sorte ! Je l'ai eu ce certif et il ne m'a servi à rien,
forcément !
Pareillement, je me trouvais un peu ridicule avec ma jupe par-dessus
le pantalon. Certaines de mes copines n'avaient absolument pas
droit au pantalon, d'autres plus en avance avaient franchi le
pas... Quelques unes et moi, étions à mi-chemin
entre les deux, en route vers le progrès mais pas trop
vite !!! J'essayais constamment de convaincre ma mère
de l'inutilité de cette jupe puisque j'avais un pantalon
dessous, malheureusement il m'a fallu attendre l'entrée
au lycée des Bruyères pour obtenir gain de cause
!
Un an après, je suis allée au
collège Jean Texcier, et en quatrième au lycée
des bruyères. C'est là que j'ai connu Françoise
et que nous avons découvert ensemble les plaisirs de
l'écriture à quatre mains. J'ai encore ces gros
cahiers remplis de nouvelles policières que nous inventions
ensemble, en nous inspirant d'un héros d'actualité
"le Saint". Dès l'école primaire, j'aimais
écrire et ce penchant ne m'a jamais quittée. Pendant
mes années de lycée j'écrivais des textes,
des poèmes, des chansons, de longues missives à
mes copines et à mes grands-parents, je tenais un journal
détaillé de mes aspirations d'adolescente timide,
une idée qui m'avait été suggérée
par ma mère quand elle avait retrouvé, dans la
buanderie, celui qu'elle tenait étant jeune. Depuis lors,
la passion des textes m'est restée et la rédaction
de mes carnets de voyage, outre qu'elle fixe une trace pour
la mémoire, me procure aussi une réelle occasion
d'exercer cette tendance.
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