voyage en enfance

L’enfance est un pays que l’on traverse sans s’en rendre compte. (Eric-Emmanuel Schmitt)

 

On n'arrête pas le progrès

Le progrès, il est venu certes ! Pourtant combien de femmes ont vécu la lessive comme une véritable affaire avant de s'en trouver délivrées, pour celles qui en avaient les moyens, par l'acquisition d'une machine à laver !
Ma grand-mère a lavé son linge à la main pendant des années, avant de se décider à acheter une machine très tardivement. Mais avant ça, quel travail ! Pendant qu'elle installait les baquets sur des trépieds et les remplissait avec l'eau douce récupérée dans un tonneau placé sous la gouttière, mon grand-père se chargeait d'allumer la chaudière sous la lessiveuse, pour faire bouillir tout le blanc qui pouvait supporter la grosse chaleur. A l'aide d'un long bâton, il remuait le linge et des nuages de vapeur l'enveloppaient.
Elle, armée d'une brosse à linge, frottait, frottait les grosses pièces étalées sur la planche à laver partiellement immergée dans le baquet. Dès qu'un habit était propre, elle le jetait dans un premier baquet d'eau froide, puis dans un autre pour le second rinçage auquel participait mon grand-père quand il en avait fini avec le blanc. Ensuite, il tordait le linge à la main et allait l'étendre sur des fils tendus au dessus d'un carré de pelouse grand comme un mouchoir de poche. Cela durait tout le jour évidemment et c'était éreintant.

Baquet sur un trépied.

Ma mère bénéficiait d'une machine à laver, ce qui rendait la lessive un peu plus facile. Que ceux qui n'ont pas connu cette époque, n'aillent pas imaginer qu'il n'y avait rien à faire qu'à la remplir et la vider, comme de nos jours.
D'abord, il fallait tirer la machine au milieu de la cuisine pour pouvoir tourner autour, puis aller brancher un tuyau dehors pour la remplir d'eau. La porte devait donc rester entrebâillée même en hiver. Une fois la cuve chargée et le programme lancé, on profitait d'un répit momentané, le temps que le linge soit lavé. Mais lavé, ne signifiait pas rincé. Il fallait après coup sortir toute la tournée, vider l'eau, remplir de nouveau la machine pour le rinçage et remettre le linge pour la suite. Après quoi, venait l'essorage. Les lourds draps de coton, les torchons, les serviettes, les vêtements, tout passait entre deux rouleaux en caoutchouc, actionnés par une manivelle qu'on tournait à la main. Ces pièces étaient alors jetées dans un seau où elles attendaient qu'on procède à l'étendage dans la cour.
A la fin, on replaçait la machine à laver contre le mur, on épongeait les pavés trempés et quelquefois quand il pleuvait, on devait étendre le linge dans la cuisine, au dessus de nos têtes !
Il n'y avait pas de salle de bain où on aurait pu mettre un étendoir dans ces vieilles maisons, et pas de toilettes non plus à l'intérieur. Un cabanon en bois accolé à la buanderie nous accueillait hiver comme été !

Machine à laver.

Comme nous n'avions pas la télévision évidemment, nous écoutions la radio (on disait la TSF), sur un gros poste à lampes. Une aiguille nous permettait de trouver la station dans des sifflements suraigus qui nous guidaient dans notre recherche...
Pour rien au monde, nous n'aurions raté le quotidien "Sur le banc" avec Jeanne Sourza et Raymond Souplex qui racontait les aventures de La Hurlette et de Carmen, un couple de clochards installés sur un banc des quais de Seine, et pas davantage "La famille Duraton", un feuilleton qui passait en début de soirée et mettait en scène une famille moyenne commentant l'actualité avec humour ou encore Zappy Max dans "Ca va bouillir" ou dans "Quitte ou double". Beaucoup plus tard, nous avions rendez-vous chaque jour avec Ménie Grégoire, qui sur "Radio Luxembourg", essayait de démêler les problèmes de ses auditeurs. Mais les transistors avaient dès lors fait leur apparition, remplaçant les imposants postes de radio.

Poste de mon grand-père.

Les stations.

Cependant, une de nos tantes possédait la télévision. Ainsi certains "grands soirs", comme celui de l'Eurovision par exemple, ma mère préparait un repas que nous emportions pour le manger chez elle, tout en regardant la télé. Bien entendu, nous arrivions à l'improviste, puisque personne ne disposait du téléphone chez nous. Peu importe, nous passions une excellente soirée. Il n'est plus de mise aujourd'hui de débarquer sans prévenir chez quelqu'un avec son repas, en revanche dans ce contexte cela ne choquait pas. Nos familiers n'étant pas plus riches que nous, nous ne pouvions nous permettre d'arriver les mains vides. Il advenait également quand nous allions nous promener en voiture, que nous entrions dans un café pour prendre une consommation et que nous déballions le pique-nique sur la table, comme le permettait l'affiche accrochée à la devanture : "On peut apporter son manger !"

Un jour, le progrès a fini par nous rattraper. Notre premier réfrigérateur – objet de luxe dont il fallait prendre grand soin – a fait son entrée dans la cuisine. Quel changement dans la vie quotidienne ! Ma mère s'est alors mise à nous confectionner des esquimaux-maison. Elle préparait une glace avec de la crème Mont Blanc, de la crème fraîche et je ne sais plus quoi et en remplissait d'étroits moules en forme d'esquimaux dans lesquels elle calait un bâtonnet quand le mélange commençait à prendre. Pour les démouler, il suffisait de les réchauffer au creux de la main et de tirer sur le bâton.

La cuisine avec le réfrigérateur, et la cuisinière en fonte bleue.

Si longtemps après, il m'est difficile de retrouver la chronologie précise des anecdotes qui émaillent ce récit. Alors, je les laisse prendre place librement, en essayant toutefois de les classer par associations d'idées.
C'est étonnant comme certains jours, les mots s'enlacent irrésistiblement, m'entraînant d'un seul élan vers le bas de la page, quand d'autres fois, ils musardent, flemmardent et prennent des chemins buissonniers, pour gagner doucement le bout de la ligne.
Me voici donc dans les années 60, à jeter un regard sur mon quartier, à m'attarder sur ce qui émerveillait nos yeux de joyeux marmots.

Sommaire La cuisine familiale Spectacles et musique

 



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