la cuisine familiale
La cuisine, notre pièce à vivre parce
que la seule à être chauffée, était le
royaume de ma mère qui aimait bien mitonner de bons petits
plats. Elle nous régalait de ragoût de boeuf aux carottes
et pommes de terre baignant dans une sauce goûteuse, de risottos
moelleux, de légumes du potager, de haricots, de salades
aux éternelles échalottes.
La soupe à l'oseille, alors ça je détestais,
et je trouvais bien dommage qu'il y en ait tout un rang sur le bord
du potager ! La rhubarbe non plus ne m'attirait pas, avec son goût
acide que maintenant j'apprécie sans conteste.
Le dimanche midi, nous mangions invariablement un rôti de
boeuf que j'étais allé quérir chez le boucher
proche de l'école maternelle. Pour des jambes de mioche,
ce n'était pas la porte à côté ! Quand
nous avions des invités, ma mère nous préparait
volontiers des tomates garnies de jambon, oeufs durs, mayonnaise,
fines herbes. Je l'aidais alors à remplir les tomates qu'elle
creusait délicatement et présentait avec goût.
Certains mets étaient très économiques, il
suffisait de se baisser pour en récolter les ingrédients.
Nous mangions par exemple des salades de pissenlits sauvages, que
nous allions cueillir dans le champ. Encore fallait-il que ce soit
la bonne saison afin qu'ils ne soient pas trop durs. Mon père
les coupait menus et on y ajoutait des oeufs durs.
Un autre expédient pour trouver de la nourriture à
peu de frais, consistait en la récolte d'escargots. Point
besoin d'attendre la pluie, j'avais trouvé un truc efficace.
J'arrosais abondamment notre large bordure d'iris et peu après,
surgissaient une multitude d'escargots persuadés qu'il pleuvait.
Ramasser les bestioles, passe encore ! Au passage, j'en prélevais
quelques uns que je lançais dans des courses éperdues
! Quelques centimètres par heure et pas toujours dans la
bonne direction ! Les autres, il fallait les entasser dans un seau
et les laisser dégorger avec du sel dans la buanderie. Le
couvercle, quand on le relevait, était chargé d'escargots
baveux, si nombreux, qu'ils arrivaient à le soulever et à
s'échapper. On en récupérait partout sur le
sol gluant, je trouvais ça répugnant, personne n'aurait
pu m'en faire avaler le moindre morceau... pareillement aujourd'hui
!
La soupe de légumes, celle qui fait grandir tous les bambins
du monde, était notre lot quotidien. De rares fois, nous
en étions délivrés, l'été, quand
ma mère avait l'idée de la remplacer par une assiette
de lait chaud sucré, au vermicelle. Un vrai régal,
tout comme son gâteau de riz, ses piles géantes de
crêpes, ses montagnes de beignets, ses délicieux pets
de nonne...
La coutume voulait que le dimanche soir, nous allions dîner
chez ma grand-mère où nous avions droit à sa
spécialité dominicale, le poulet rôti. Avec
ma soeur, nous nous disputions sans fin, pour savoir qui serait
assise entre nos deux grands-parents si bien qu'un tour de rôle
avait finalement était décidé, rétablissant
ainsi définitivement la paix.
Pour le goûter, nous emportions dans nos jeux, un grand casse-croûte
de pain beurré avec quelques morceaux de chocolat à
croquer... Pas de viennoiseries ou de biscuits comme maintenant,
"le pain fait de beaux enfants" disait-on !
Le matin, nous invitions à notre table monsieur Banania,
brave Sénégalais avec sa calotte rouge, qui outre
son délicieux breuvage, proposait en échange de points
à découper sur le paquet, des jeux de construction,
des silhouettes ou le fameux cinébanana (sorte de lanterne
magique servant de projecteur pour visionner les aventures du Tirailleur)
et plus tard des 45-tours et des figurines à l'effigie des
stars du moment. Le célèbre slogan "Y'a bon Banania"
connu de toutes les générations depuis 1915, a fini
par disparaître de l'emballage en 1977, dénoncé
comme raciste par les départements d'outre-mer qui estimaient
qu’on "jouait de l’image des Noirs sans respect".
Pour en finir avec la nourriture, je ne
peux omettre le plaisir favori de mon père, au petit déjeuner,
fantaisie qui consistait à se faire cuire un blanc d'oeuf,
s'il en restait d'une préparation culinaire. Il me semble
à l'instant que l'odeur du beurre grésillant, juste
quand il versait le blanc dans la poêle, me chatouille les
narines. Ensuite, il se taillait de larges tranches de pain, avec
son couteau suisse, dont il ne se séparait jamais, à
l'instar de mon grand-père d'ailleurs.

C'était une idée traditionnelle de
cadeau, quand par malheur il le perdait ou le considérait
comme trop usagé. Mais attention, il était formellement
interdit à quiconque d'y toucher et même de le laver...
Pas question de glisser une goutte d'eau dans le manche ! A la fin
du repas, il l'essuyait soigneusement sur un morceau de pain et
le rangeait aussitôt dans sa poche. Moi qui mangeais assise
à côté de lui, je me faisais un malin plaisir
de le lui chiper en douce... Il s'en apercevait toujours très
vite et protestait, pourtant cela n'allait pas plus loin, il savait
bien que je m'amusais à le taquiner.
Soirées en famille
Passée la petite enfance pendant laquelle, le soir nous mangions avant nos parents, ma soeur et moi avons enfin pu partager leur dîner. La table qui passait ses
journées accolée au mur, sous l'almanach des PTT, était poussée au milieu de la cuisine et placée sous le globe lumineux suspendu au milieu du plafond. Nous
avions le droit de parler en mangeant et ne nous en privions pas. Histoire d'école, en général, que notre auditoire favori écoutait avec attention !
Je fermais les volets pliants en fer (chez mes grands-parents, il y en avait d'identiques auxquels je n'avais pas le droit de toucher, au cas où je m'y serais coincée les doigts
!!!). Mon père tirait le verrou de la porte. Dehors, il pouvait faire nuit, les forains pouvaient traverser le long du mur du jardin, il pouvait pleuvoir, neiger, venter, nous étions
réunis à deux pas de la cuisinière qui dispensait une bonne chaleur et nos assiettes étaient pleines.
De loin en loin, la soirée était
un peu plus mouvementée, quand le feu prenait dans la cheminée.
Pas de panique pourtant, on avait l'habitude ! Généralement,
une fois toute la suie brûlée, le feu s'éteignait
tout seul. Il fallait juste vérifier à intervalles
réguliers que la paroi de la hotte n'était pas plus
brûlante qu'un moment plus tôt, signe que les choses
se seraient aggravées.
Pour finir, nous les filles, allions au lit tandis que nos parents
vaquaient à quelque occupation de fin de journée.
Quand ma soeur était encore bébé nous dormions
séparément, avant de partager par la suite un grand
lit et d'énormes fous rires, le soir. Mais comme il ne fallait
pas laisser deviner que nous ne dormions pas, nous nous enfouissions
sous les couvertures et mordions les draps pour ne pas pouffer tout
haut ! Quelques années plus tard, la cohabitation dans la
même chambre, posant quelques problèmes, nous avons
tracé une ligne imaginaire au milieu de la pièce,
ligne qui passait au mitan du lit et de part et d'autre de laquelle
nous avions décidé de nous tenir, avec malgré
tout un droit de passage pour moi qui "habitais" au fond
de la chambre et étais bien obligée d'entrer par la
porte située à l'opposé.
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