voyage en enfance
Enfance, seul âge
de la vie où le bonheur puisse être un état. (Paule
Saint-Onge)
la cuisine familiale
La
cuisine, notre pièce à vivre parce que la seule
à être chauffée, était le royaume
de ma mère qui aimait bien mitonner de bons petits plats.
Elle nous régalait de ragoût de boeuf aux carottes
et pommes de terre baignant dans une sauce goûteuse, de
risottos moelleux, de légumes du potager, de haricots,
de salades aux éternelles échalottes.
La soupe à l'oseille, alors ça je détestais,
et je trouvais bien dommage qu'il y en ait tout un rang sur
le bord du potager ! La rhubarbe non plus ne m'attirait pas,
avec son goût acide que maintenant j'apprécie sans
conteste.
Le dimanche midi, nous mangions invariablement un rôti
de boeuf que j'étais allé quérir chez le
boucher proche de l'école maternelle. Pour des jambes
de mioche, ce n'était pas la porte à côté
! Quand nous avions des invités, ma mère nous
préparait volontiers des tomates garnies de jambon, oeufs
durs, mayonnaise, fines herbes. Je l'aidais alors à remplir
les tomates qu'elle creusait délicatement et présentait
avec goût.
Certains mets étaient très économiques,
il suffisait de se baisser pour en récolter les ingrédients.
Nous mangions par exemple des salades de pissenlits sauvages,
que nous allions cueillir dans le champ. Encore fallait-il que
ce soit la bonne saison afin qu'ils ne soient pas trop durs.
Mon père les coupait menus et on y ajoutait des oeufs
durs.
Un autre expédient pour trouver de la nourriture à
peu de frais, consistait en la récolte d'escargots. Point
besoin d'attendre la pluie, j'avais trouvé un truc efficace.
J'arrosais abondamment notre large bordure d'iris et peu après,
surgissaient une multitude d'escargots persuadés qu'il
pleuvait. Ramasser les bestioles, passe encore ! Au passage,
j'en prélevais quelques uns que je lançais dans
des courses éperdues ! Quelques centimètres par
heure et pas toujours dans la bonne direction ! Les autres,
il fallait les entasser dans un seau et les laisser dégorger
avec du sel dans la buanderie. Le couvercle, quand on le relevait,
était chargé d'escargots baveux, si nombreux,
qu'ils arrivaient à le soulever et à s'échapper.
On en récupérait partout sur le sol gluant, je
trouvais ça répugnant, personne n'aurait pu m'en
faire avaler le moindre morceau... pareillement aujourd'hui !
La soupe de légumes, celle qui fait grandir tous les
bambins du monde, était notre lot quotidien. De rares
fois, nous en étions délivrés, l'été,
quand ma mère avait l'idée de la remplacer par
une assiette de lait chaud sucré, au vermicelle. Un vrai
régal, tout comme son gâteau de riz, ses piles
géantes de crêpes, ses montagnes de beignets, ses
délicieux pets de nonne...
La coutume voulait que le dimanche soir, nous allions dîner
chez ma grand-mère où nous avions droit à
sa spécialité dominicale, le poulet rôti.
Avec ma soeur, nous nous disputions sans fin, pour savoir qui
serait assise entre nos deux grands-parents si bien qu'un tour
de rôle avait finalement était décidé,
rétablissant ainsi définitivement la paix.
Pour le goûter, nous emportions dans nos jeux, un grand
casse-croûte de pain beurré avec quelques morceaux
de chocolat à croquer... Pas de viennoiseries ou de biscuits
comme maintenant, "le pain fait de beaux enfants"
disait-on !
Le matin, nous invitions à notre table monsieur Banania,
brave Sénégalais avec sa calotte rouge, qui outre
son délicieux breuvage, proposait en échange de
points à découper sur le paquet, des jeux de construction,
des silhouettes ou le fameux cinébanana (sorte de lanterne
magique servant de projecteur pour visionner les aventures du
Tirailleur) et plus tard des 45-tours et des figurines à
l'effigie des stars du moment. Le célèbre slogan
"Y'a bon Banania" connu de toutes les générations
depuis 1915, a fini par disparaître de l'emballage en
1977, dénoncé comme raciste par les départements
d'outre-mer qui estimaient qu’on "jouait de l’image
des Noirs sans respect".
|
Pour
en finir avec la nourriture, je ne peux omettre le plaisir favori
de mon père, au petit déjeuner, fantaisie qui
consistait à se faire cuire un blanc d'oeuf, s'il en
restait d'une préparation culinaire. Il me semble à
l'instant que l'odeur du beurre grésillant, juste quand
il versait le blanc dans la poêle, me chatouille les narines.
Ensuite, il se taillait de larges tranches de pain, avec son
couteau suisse, dont il ne se séparait jamais, à
l'instar de mon grand-père d'ailleurs.

C'était une idée traditionnelle
de cadeau, quand par malheur il le perdait ou le considérait
comme trop usagé. Mais attention, il était formellement
interdit à quiconque d'y toucher et même de le
laver... Pas question de glisser une goutte d'eau dans le manche
! A la fin du repas, il l'essuyait soigneusement sur un morceau
de pain et le rangeait aussitôt dans sa poche. Moi qui
mangeais assise à côté de lui, je me faisais
un malin plaisir de le lui chiper en douce... Il s'en apercevait
toujours très vite et protestait, pourtant cela n'allait
pas plus loin, il savait bien que je m'amusais à le taquiner.
Soirées en famille
Passée la petite enfance pendant laquelle,
le soir nous mangions avant nos parents, ma soeur et moi avons
enfin pu partager leur dîner. La table qui passait ses
journées accolée au mur, sous l'almanach des PTT,
était poussée au milieu de la cuisine et placée
sous le globe lumineux suspendu au milieu du plafond. Nous avions
le droit de parler en mangeant et ne nous en privions pas. Histoire
d'école, en général, que notre auditoire
favori écoutait avec attention !
Je fermais les volets pliants en fer (chez mes grands-parents,
il y en avait d'identiques auxquels je n'avais pas le droit
de toucher, au cas où je m'y serais coincée les
doigts !!!). Mon père tirait le verrou de la porte. Dehors,
il pouvait faire nuit, les forains pouvaient traverser le long
du mur du jardin, il pouvait pleuvoir, neiger, venter, nous
étions réunis à deux pas de la cuisinière
qui dispensait une bonne chaleur et nos assiettes étaient
pleines.
De loin en loin, la soirée était
un peu plus mouvementée, quand le feu prenait dans la
cheminée. Pas de panique pourtant, on avait l'habitude
! Généralement, une fois toute la suie brûlée,
le feu s'éteignait tout seul. Il fallait juste vérifier
à intervalles réguliers que la paroi de la hotte
n'était pas plus brûlante qu'un moment plus tôt,
signe que les choses se seraient aggravées.
Pour finir, nous les filles, allions au lit tandis que nos parents
vaquaient à quelque occupation de fin de journée.
Quand ma soeur était encore bébé nous dormions
séparément, avant de partager par la suite un
grand lit et d'énormes fous rires, le soir. Mais comme
il ne fallait pas laisser deviner que nous ne dormions pas,
nous nous enfouissions sous les couvertures et mordions les
draps pour ne pas pouffer tout haut ! Quelques années
plus tard, la cohabitation dans la même chambre, posant
quelques problèmes, nous avons tracé une ligne
imaginaire au milieu de la pièce, ligne qui passait au
mitan du lit et de part et d'autre de laquelle nous avions décidé
de nous tenir, avec malgré tout un droit de passage pour
moi qui "habitais" au fond de la chambre et étais
bien obligée d'entrer par la porte située à
l'opposé.
|
|