chronique d'une rue défunte
...Rue Fleury - Grand Quevilly...
Toute mon enfance, si on excepte mes quatre premières années, s'est donc déroulée dans la rue Fleury. Cette petite rue bordée autrefois
d'une douzaine de maisons, n'est plus qu'un souvenir d'enfance, un souvenir sans autres traces que celles de la mémoire, parce qu'il n'en reste presque plus rien.
La rue existe encore, défigurée, avec une seule bâtisse d'époque, un parking et des espaces verts, alors il faut un peu d'imagination pour retrouver
dans la photo satellite ci-dessous, le reflet des lieux dans les années 50-60.
[Pour comparer, passez la souris sur l'image.]
A la place du parking, se dressait la maison de mes parents, entourée de fleurs et d'arbres, pommiers, pêchers, lilas, sapins des Alpes... Dans ce jardin de verdure, j'ai semé
des souvenirs dont les racines, hélas, ne s'accrochent plus à la terre devenue béton...

Sur toutes les photos, les prénoms
inscrits sur les maisons sont ceux des enfants de ma génération.

Vue de la rue Fleury depuis le champ (Sud)

Vue de la rue Fleury depuis la rue Albert
Lacour (Est)
VOIR
dans les années 50-60
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LE PANORAMA DE LA RUE ET DU CHAMP.
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UNE VUE GENERALE DU QUARTIER.
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DE GRAND-QUEVILLY EXTENSION A LA SEINE
chez nous
Notre jardin, caché au nord derrière une haute et large haie de troènes qui l'isolait de la route, voisinait au sud avec un vaste champ d'herbes folles
où mon père cueillait quelquefois le "manger aux lapins". Nous avions l'habitude d'aller y jouer entre petits voisins; les chardons ne nous faisaient pas peur. Une
fois par an, la fête foraine venait s'implanter là et les gosses du quartier en éprouvaient une grande joie. Les jours précédant l'ouverture de la foire,
nous allions traîner autour des gens du voyage affairés à installer leur campement, pour leur proposer nos services, bonne action pas du tout désintéressée,
puisqu'elle nous permettait d'obtenir des tours de manège gratuits. Les forains me demandaient souvent de l'eau, ma cour étant toute proche et la seule ouvrant sur ce grand espace
naturel. Ils venaient alors chargés d'un seau en zinc qu'ils remplissaient dans la buanderie. Il n'était pas rare d'ailleurs, que la nuit venue, quelques uns d'entre eux traversent
clandestinement mon jardin, pour ressortir par la barrière donnant sur la rue afin de s'approvisionner à la pompe située sur l'autre trottoir, une pompe dont il fallait
faire tourner la poignée sur le dessus, pour que coule l'eau, chose que nous pratiquions couramment, nous les gamins, le plus vite possible, pour que ça gicle le plus fort possible…
On ne parlait pas encore du manque d'eau sur la planète, dans les années 60 !
Cependant, le passage des forains dans l'allée du potager à la tombée de la nuit, devenait source d'inquiétude pour moi à l'heure où je devais longer
la clôture du champ pour aller chercher le cidre à la cave située derrière la maison. Je me demandais toujours si l'un d'eux n'allait pas surgir à cet instant
et me kidnapper.. Va savoir ! Je courais le plus vite possible dans le noir, pour fuir le danger évident ! La bouteille ne m'échappait jamais des mains... par miracle.
A cette même clôture, s'accolait une buanderie sur le
toit de laquelle, mon père montait quelquefois pour regarder
un feu d'artifice qui se tirait, je ne sais plus où…
A l'intérieur, une pompe à bras mécanique nous
permettait de tirer l'eau de pluie récupérée
dans un puits situé sous le bâtiment. Mais à
chaque usage, nous devions l'amorcer en versant dans la colonne
une faible quantité d'eau. Cela s'avérait vite agaçant
! L'établi de mon père se tenait sur le mur opposé.
J'avais l'habitude de l'utiliser quand le pneu de mon vélo
était crevé et que je n'avais pas envie d'attendre
son retour le soir… Tremper la chambre dans un baquet d'eau,
voir les bulles s'échapper, essuyer l'endroit, gratter avec
la petite râpe et coller la rustine à l'aide du minuscule
tube de colle...
Contre la buanderie, avait été construite une tonnelle couverte, noyée sous la verdure. L'été, elle se parait de capucines grimpantes aux couleurs vives,
qui arrivaient même à grimper le long du tronc des deux sapins plantés juste à côté. En automne, la vigne vierge qui poussait sous les capucines, la
teintait de feu. Nous y mangions presque tous les soirs, à la belle saison et c'était du bonheur !
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Au fond de la cour, étaient plantés des arbres fruitiers, notamment huit à dix gros pommiers qui avaient la déplorable habitude d'héberger
des chenilles urticantes. Nous évitions de nous installer sous leur ramure. Mais cet endroit me plaisait, parce que s'y tenaient les niches à lapins, avec des ribambelles de
locataires, dont mes parents vendaient les peaux après avoir réduit les malheureuses bestioles en ragoût.
Sur le devant de la maison, le jardin était borné par un haut mur qui nous séparait de voisins invisibles, et sur les autres côtés, ceinturé par une
clôture faite de piquets de bois assemblés par de longs fils de fer, comme il y en a encore beaucoup en Roumanie. Cette barricade palliait les trous dans le bas de la haie où
j'aimais me réfugier, des trous par lesquels je me glissais parfois sur le trottoir, quand les piquets commençaient à se détériorer, ce qui me valut un jour
une belle déchirure à la jambe, causée par le barbelé destiné à consolider l'ensemble. Bien sûr, mon père en procédant à
la réparation d'une barrière enfouie sous une haie d'un mètre de large, n'avait pas imaginé que son garçon manqué se faufilerait par là !
Ma seconde cachette de prédilection, c'était, l'été,
la grande plate-bande de dahlias qui mesuraient plus d'un mètre
de haut - et moi beaucoup moins - et qui offraient la meilleure
protection possible quand on se coulait dessous...
Enfin, nous avions un grenier qui n'était
accessible que par l'extérieur, en grimpant sur une grande
échelle. Il arrivait que mon père la laissât
quelques jours en place, quand venait la saison d'y ranger les échalottes
qu'on conservait pour l'hiver. J'aurais bien voulu y monter, parce
que s'y cachait également le tourne-disque, une antiquité
qu'on descendait quelquefois pour l'installer sur la dalle de la
cuisine et écouter, le temps d'un dimanche, les rengaines
des 78 tours. Cet objet, un gros cube en bois, était doté
de deux portes de façade qui enfermaient les disques. La
partie supérieure, contenait le plateau du tourne-disque
et le bras muni d'une aiguille qu'il fallait manipuler avec précaution
pour ne pas avoir à la changer trop souvent. Nous ne risquions
toutefois pas d'être à court, nous en avions une petite
boîte pleine.
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Pour en revenir au grenier, j'étais persuadée qu'il recelait quelques autres mystères intéressants. Hélas impossible d'y monter, c'était
défendu, sans compter qu'en haut, une porte fermée à clef en interdisait l'accès. L'attrait de l'inconnu m'avait bien persuadé d'essayer une fois, mais la
voisine d'en face m'ayant vue, mine de rien m'interpella et me demanda d'aller chercher ma mère, sous le prétexte qu'elle voulait lui parler… Bien sûr, j'y étais
allée ! Je vous laisse deviner, ce qu'elle avait à lui dire !
Notre logis n'était pas bien grand, nous ne disposions à notre arrivée, que de deux pièces, bien que la bâtisse en possédât quatre, dont une
au crépi jaune, rajoutée après la construction. C'est que la demeure avait été partagée en deux et la seconde moitié louée à
quelqu'un de la famille Grenet. Quelque temps plus tard, heureusement, nous avons pu disposer de la maison entière. Et si au début, nous n'avions l'eau qu'au fond du jardin,
mon père l'achemina bientôt jusqu'à la cuisine, en creusant une longue tranchée dans laquelle il enterra un tuyau qui amenait l'eau sans coup férir sur la
dalle. Mais nous n'avons jamais eu de salle de bains. Quand nous étions fillettes, nous étions baignées, ma soeur et moi, dans un baquet en zinc le dimanche et en semaine
nous nous acquittions de la toilette au robinet de la cuisine. Plus vieilles, nous emportions une bassine et du savon dans une chambre. Les produits de beauté chez nous, n'étaient
pas légion : eau de Cologne, eau précieuse, rouge à lèvres, poudre de riz et brillantine bleue Roja Flore que nos parents se passaient dans les cheveux le matin,
pour les rendre brillants.
Pour chauffage, nous avions un poêle à bois qu'il fallait recharger tout le jour et qui s'éteignait la nuit, faute de combustible. En hiver, au matin
frisquet, il n'était pas rare que les carreaux des chambres soient décorés de tremblantes arabesques de givre… Pour avoir moins froid, nous réchauffions notre
lit avec une brique qui, pendant la journée, accumulait la chaleur en séjournant à l'intérieur des portes situées en bas du poêle.
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